lundi 17 septembre 2007

Une journée roumaine semblait commencer


4 mois 3 semaines et 2 jours, de Cristian Mungiu. Palme d’Or du Festival de Cannes.
Vu au Cap Cinéma de Périgueux, le 14 Septembre à 18h.

« D’accord » ce mot qui ouvre le film après un long plan fixe, résonne comme le starter d’une course. Pourtant la sobriété de l’entrée en matière semblait nous rappeler que le cinéaste comptait prendre son temps pour développer un sujet tendu, l’avortement, dans un pays et une époque des plus difficile de l’histoire de la Roumanie.
Nous allons suivre une jeune étudiante roumaine amoureuse, Otilia, dont l’amie, Gabita, avec qui elle partage la chambre, a décidé d’avorter. La gravité de Gabita et son empressement dans les préparatifs donnent la dimension imminente de l’acte.
Cet avortement qui n’est pas cité au tout début, seulement compréhensible, va agir comme une sorte de fil rouge de la détresse présente dans la jeunesse roumaine.
Avant même d’assister à l’acte, le cinéaste va s’attarder adroitement à montrer cette société roumaine. La pression habite chaque image grâce à une interprétation intense de l’actrice qui joue Otilia. Ce pays traumatisé par la Guerre Froide cumul toutes les caractéristiques des peuples perdus et délaissés, qui peine à trouver une identité. Pression militaire, surveillance, rationnement, logement insalubre, renforcé par un sentiment d’absence de liberté tout au long du film.
Mungiu réussi à nous transmettre cette détresse via le seul personnage qu’il ne va pas quitter du film et par conséquent de la journée. Le style du cinéaste est très proche du documentaire, il maîtrise parfaitement l’alternance des séquences tournée en pleines rues, caméra à l’épaule suivant Otilia de façon discrète, au rythme de ses pas rapides ce qui brouille l’image, puis il enchaîne par de longs plans fixes qu’il semble affectionner. La caméra est immobile, elle contemple et laisse s’exprimer le personnage, le plus souvent ceux-ci ou celui-ci ne parle pas, mais l’intensité du jeu non-verbal suffit, Otilia peut rester silencieuse plusieurs minutes après l’intervention de l’infâme Monsieur Bebe, il n’y a pas de mots pour ce qu’elle vient de vivre. Mungiu ne semble pas prendre position, il dresse un constat, il montre. Cette technique donne au spectateur la quasi-obligation d’être actif face au film, quand la caméra ne bouge pas, que l’actrice est immobile et ne parle pas, il n’y a que lui qui peut donner du sens, son sens, à l’image, et réagir face à ce drame, sinon il dort. En cela le film demande un effort supplémentaire, qui renforce la tension déjà présente dans le film.
Passage impressionnant celui d’un dîner chez les beaux-parents d’Otilia, la caméra est immobile, vissé sur le bout de table, et la séquence dure plus de dix minutes, les paroles sont abondantes et agitées, les acteurs disparaissent, on assiste à un dîner roumain. Pourtant la séquence est oppressante pour Otilia d’une part qui semble planer au milieu du bruit et des coups psychologiques qu’elle a reçus. D’autre part pour le spectateur qui inhabitué à cette longueur de scène est pris à la gorge par l’intensité des dialogues, il ne demande qu’à s’échapper de la table, mais ce serait trop facile, le cinéaste nous laisse donc subir comme Otilia, la situation. Mungiu excelle également dans un autre domaine, la maîtrise de l’obscurité. Les deux passages dans une ville roumaine avalée par la nuit où l’on suis, au souffle, la course effréné d’Otilia pour son salut sont des sommets de tension, qui rappellent les jeu d’ombres et de lumières présents dans les derniers films de Clint Eastwood.
On sent la vulnérabilité de cette belle jeune fille qui continue fidèlement (serait-ce sa dernière raison d’exister ? ou le seul lien social encore valable dans le pays ?) à aider son amie en donnant tout ce qu’elle a et tout ce qu’elle est. Cette journée qu’elle va vivre va pourtant passer, l’abnégation semble triompher or ce film dresse le portrait de traumatismes ineffaçables d’une génération égarée.
Finalement la titre pourrait être le nom de l’enfant qui ne vivra jamais.
Bonne toile !

8 commentaires:

g. a dit…

Changement de style et tout et tout !... La classe !!! (non, je plaisante)

Anonyme a dit…

Je me disais aussi... un compliment !
bref
l'important c'est le fond, que le fond !
n'est ce pas...

g. a dit…

Non. La forme compte aussi. Raté !

g. a dit…

Quant à la critique en elle-même, un point me paraît pour le moins audacieux. Je n'ai pas vu le film, soit, mais peut-on réellement comparer le travail impressionnant du directeur de la photographie des films de Clint Eastwood (que ce soit pour Mystic River, Million Dollar Baby ou encore le diptyque Mémoires de nos Pères / Lettres d'Iwo Jima où la lumière est plus que scrupuleusement étudiée) à celui du film du jeune roumain ? De l'excellent travail peut-être, mais à ce point ?

Ad'Line a dit…

wouah... y a des professionels ici... j'y ai pas tellement ma place, mais c'était simplement pour te remercier de tn commentaire :D
Tchou !

Anonyme a dit…

Ouais d'accord la forme compte aussi mais j'aime bien.
Oui j'ai effectivement longtemps gambergé sur la comparaison avec la photo de Tom Stern, disons que certains effets m'ont fait penser à ce travail. Mais écoute si t'as vu le film yu constatera qu'il est étonnant de maitrise technique.
Il sait jouer avec le noir et blanc, les sons et le jeu de lumière. C'est vrai qu'il n'atteint pas la perfection des films d'Eastwood, mais il est sur son chemin. Disons que ses esquisses de "débutant" sont de bon augure, à suivre donc...et à voir !

Anonyme a dit…

Et pour a. toutes les personnes ont la place sur ce blog, tu peux dire ce que tu pense des films critiqués (et prochainement!) donner ta perception des choses, ton ressenti. C'est comme ça que le débat s'élève et s'enrichi.
à bientôt

Unknown a dit…

Salut !
Moi non plu'ai pas vu le film! Mais je vois que dans les commentaires vous parler des jeux de lumière, alors dans ce cas si tu ne l'a pas vu regarde MacBeth de Welles, le jeu de lumiere y est plus que flagrant!!
Voila
Biz